LA CONSTRUCTION DE LA PHILOSOPHIE POLITIQUE D’ APRES RICOEUR . Par Mg en Universite Paris 8 "Marcelo Lobosco"

LA CONSTRUCTION DE LA
PHILOSOPHIE POLITIQUE
D’ APRES RICOEUR



Par Mg en Universite Paris 8  Marcelo Lobosco

Prof Adj.Faculte du Droit

.        Universite de Buenos Aires , Argentine




Le cadre conceptuel à partir duquel le philosophe français M. Ricoeur réfléchit et fait ses recherches concernant la philosophie politique est celui de l’idéologie et de l’utopie. Ces deux sujets deviennent constitutifs, aussi bien à l’origine des liens que des compléments, de tout ce que notre penseur appelle l’imaginaire social et culturel, ce qui sera l’objet de réflexion dans ces quelques pages.

Il est important d’introduire à ce sujet une clarification que le philosophe ferait à son compilateur : « l’aspect social porte plutôt sur les rôles que les Institutions nous assignent alors que l’aspect culturel implique la production d’œuvres de la vie intellectuelle. (…) Il porte surtout sur le domaine du langage et de la création d’idées. » (1)

L’hypothèse posée par un des rénovateurs de l’herméneutique et qui sera le fil conducteur de ces conférences est que la recherche de la dialectique concernant les deux concepts mentionnés ci-dessus portera une lumière sur la problématique de l’imagination en tant que sujet philosophique ; cette dernière étant largement oubliée comme sujet philosophique par l’histoire de la philosophie ébauchée par Aristoteles, Kant et Heidegger selon Castoriadis.

Sur le chemin dialectique les premières traces communes que l’on rencontre sont, d’un coté un aspect positif et constructif et d’un autre coté un aspect négatif, déconstructif et pathologique et le constat, en même temps, de l’apparition préalable de l’aspect pathologique et négatif, ce qui suppose, aux effets de la recherche, l’existence d’un marque méthodologique partant d’un aspect négatif évident qui se dirige vers un aspect  plus interne et constitutif.
Ricœur remarque d’un côté, une sorte de tension entre l’idéologie et l’utopie ayant, à l’intérieur de chacune,  des traits positifs et négatifs et d’un autre côté, des tensions dues à certains traits structuraux de l’imagination culturelle qui deviendront révélateurs dans sa recherche.

En ce qui concerne la première polarisation mentionnée ci-dessus, Ricœur prend comme point de repère et de départ le philosophe Karl Mannheim qui place l’idéologie et l’utopie sur une tension conceptuelle en les traitant toutes deux comme des « détournements de la réalité » si l’on reprend le terme Freudien, selon lequel le monde serait basé sur la notion d’incongruence;  par la suite, ces critères sont partis vers différents holzwege, comme l’Ecole de Francfort, et à l’heure actuelle, ressurgit l’intérêt de mettre en rapport les deux notions à partir de cette proposition.

(1)Ricœur, Paul : Idéologie et utopie. Edition du Seuil (1997). Page 30 


Notre philosophe, objet de réflexion de ces pages, remarque que les différents exposés semblent découler du fait que l’aspect idéologique est toujours controversé, il n’a pas d’auteur pour le légitimer et il n’est pas reconnu, il n’existe pas un « soi-même » pouvant l’identifier ; il appartient à eux, aux autres et il est souvent accompagné d’un déplacement du sentiment de culpabilité, faisant référence au fait que « les coupables de l’idéologie sont toujours les autres ». Il affirme qu’Il n’en est pas de même avec les utopies, ces dernières appartenant toujours à un auteur et  étant toujours assumées par ce dernier.




La notion d’incongruence de Mannhein suppose justement une relation entre les individus et les groupes sociaux et avec leurs vies et leurs réalités sociales implicant un sens d’appartenance à la société et c’est à partir de là que Ricœur exprime son fondement concernant l’imagination sociale comme partie constitutive de la réalité historique et sociale, qui sont d’ailleurs complémentaires. Ce concept sera donc l’horizon de recherche de notre penseur.

« Concernant l’idéologie, affirme Ricœur, la généalogie de ce mot découle des intégrants d’une école de philosophie française du XVIIIe siècle opposée à Napoléon : les idéologues, et qui a été dirigée par Destutt de Tracy. Ceux-ci soutenaient une philosophie des idées sans aucun rapport avec la réalité et que cette dénomination avait une connotation négative à partir de Napoléon Bonaparte. A partir de ce moment apparaissait donc une première mention de l’idéologie avec d’évidentes connotations négatives.

Cependant, le sens prédominant dans notre présent historique et social est celui qui a été soutenu par Marx dans ses écrits  de jeunesse et dans L’idéologie Allemande avec quelques différences qu’il définira un peu plus tard. Le mot idéologie apparaît dans ses écrits à travers la métaphore de l’expérience physique de l’image inversée dans une caméra noire ou par la rétine, d’où l’on tire le modèle de « déformation par inversion ». Ricœur prendra à partir de cela la première fonction de l’idéologie, celle de produire une image inversée, complétée par d’autres activités intellectuelles et  spirituelles, considérées comme des images inversées de la réalité, c'est-à-dire des déformations par renversement de la réalité.
C’est à partir de là que l’on peut déduire, d’après le regard de notre philosophe, que l’opposition existe, chez le jeune Marx, entre la réalité et l’idéologie et non pas entre l’idéologie et la science ; la réalité est comprise par Marx comme une praxis : d’abord les individus font des choses, leur réalité sociale, ensuite cette réalité est représentée par des idées. Le problème réside dans l’autonomie de sens donnée à cette idéologie; et la critique Marxiste à cette idéologie découle donc du fait que la philosophie a inversé la succession réelle des choses et qu’il faut remettre dans l’ordre ces choses, c'est-à-dire: Inverser un renversement.
Lorsque la théorie de Marx se propage comme une théorie philosophique et sociale, comme un système dans Le Capital, elle se montre comme un corps de connaissance scientifique et comporte une transformation de la notion d’idéologie opposée à la science, cette dernière est assimilée au corps de la connaissance alors que l’idéologie est assimilée à un concept pré-scientifique de la vie sociale incluant l’utopie.
D’une façon explicite l’utopie est une idéologie car elle n’est pas scientifique, pré-scientifique ou anti-scientifique ; posture caractéristique des utopies socialistes du XIXe siècle, ce qui manifeste, d’après Ricœur, une posture idéologique en elle-même.

Les Marxistes tardifs et les post marxistes réinterprètent la notion de science donnant ainsi de nouvelles nuances à la relation idéologie-utopie. On trouve déjà une différence dans l’Ecole de Francfort qui essaye de développer la science en tant que critique dans laquelle la notion de critique est liée à un projet d’émancipation, libération et elle est opposée à la position prise par la sociologie positiviste, cette position n’étant que  descriptive et empirique telle qu’elle a été montrée par Talcott Parsons et ne remettant pas en question ses propres hypothèses.
Notre auteur, sujet de réflexion de ces pages, reconnaît aux membres de l’école de Francfort, la tentative d’établir des liens entre le processus critique et la psychanalyse moyennant l’échange des cadres conceptuels. 

L’autre nouveauté, celle de la réinterprétation de la théorie, provient de la conjonction du Marxisme et du structuralisme représenté par la figure proéminente du philosophe structuraliste Louis Althusser. Sa proposition est celle de mettre les aspirations humanistiques du coté de l’idéologie, puisque l’illusion de base repose sur le fait que c’est l’individu qui donne sens à la réalité. La conséquence de ce processus dans lequel il y a une ampliation de plus en plus grande du concept d’idéologie est celle qui nous permet de parler, d’après Ricœur, d’une progressive « légitimation et justification du concept. » 

La légitimation du concept d’idéologie provenant du marxisme et de son développement est négative. Vu que Ricœur soutient la structure symbolique, dans le sens de l’imaginaire d’Althusser, de la vie sociale comme le seul moyen de comprendre comment la réalité peut être idée et comment la vie peut créer des illusions, il va les relier à d’autres cadres conceptuels lui permettant de reconnaître cette structure. En d’autres mots, il essaie de passer de la fonction déformative dont l’origine recule aux conceptualisations de Marx, à un cadre plus compréhensif dans lequel le marxisme est traversé par la psychanalyse Lacanienne et dans lequel il est traité comme une illusion tel qu’on l’a mentionné auparavant.

A la recherche de fondements plus radicaux, il pose le problème résultant du « paradoxisme de Mannheim », à savoir : le concept d’idéologie ne peut pas être pratiqué sur nous-mêmes, c'est-à-dire: si tout ce que l’on fait et que l’on dit répond à des intérêts, c’est idéologique,  nous avons donc là une théorie de l’idéologie qui est idéologique en elle-même. La théorie devient une partie de son référent dû à une réflexivité du même concept. Peut-on alors éviter ce paradoxe?

Pour répondre à ce paradoxe Ricœur propose de mettre en question les prémisses sur lesquelles elle est fondée et qui sont dérivées de l’extension épistémologique du concept marxiste de l’opposition science – idéologie, de revenir sur le concept de réalité en tant que praxis et de ne pas développer la déformation mais plutôt la connexion interne des deux termes : Idéologie et Praxis. Et surtout, d’expliquer comment la réalité sociale (en tant que praxis historique) a une structure symbolique et que ce n’est qu’ainsi qu’elle peut être déformée. « Si elle n’était pas symbolique depuis le début, elle ne pourrait pas être déformée » (2), c'est-à-dire : la fonction symbolique est préalable et elle rend possible le reste en tant que présupposé. Dans cet ordre d’inquiétudes, notre philosophe trouve des coïncidences importantes avec Clifford Geertz lorsqu’il manifeste que les sociologues ne font attention qu’aux facteurs qui provoquent et encouragent une idéologie mais non pas « à la façon dont elle fonctionne », à sa fonction en elle-même, le processus autonome de la formulation symbolique étant largement négligé (3). Cet aveuglement concernant « l’action symbolique » dénoncé par Geertz cherche sa réponse dans la rhétorique du discours public permettant d’articuler le réseau de l’expérience  sociale avec notre expérience perceptuelle. Notre système culturel s’occupe de conduites humaines, moyen d’existence qui implique l’action symbolique, il est nécessaire donc d’établir des « cartes » dans notre expérience de la réalité sociale.

Ricœur arrive à se demander, si l’on suit le fil conducteur du fonctionnement de l’idéologie, comment ces deux fonctions, celle de l’intégration d’une communauté et celle de la déformation de la pensée à cause des intérêts, peuvent-elles fonctionner ? Il porte alors son analyse sur le concept d’autorité dans une  communauté telle qu’elle a été conçue par Max Weber.

Vu que pour l’organisation de nos processus sociaux, il nous faut un système culturel, le sujet de la légitimation de cet ordre social est un problème essentiel à estimer du point de vue du rôle joué par l’idéologie. Ricœur soutient justement que la place privilégiée de la pensée idéologique réside dans la politique et que le rôle joué par l’idéologie (pris dans un sens positif) est de rendre possible qu’une entité politique devienne autonome lorsqu’on lui donne les concepts d’autorité qui la représentent.


Le jeu de l’idéologie est évident si on le considère à partir d’un système de leadership, ce dernier nécessite, aussi bien de la soumission que du consentement et de la coopération ; c'est-à-dire que tous les systèmes de leaderships exigent que leur pouvoir soit garanti par une autorité légitime et c’est là la fonction de l’idéologie si l’on justifie le système actuel d’autorité. 
La relation d’autorité suppose une légitimité qui sous soumet à l’autre depuis une place privilégiée. On trouve souvent cette fonction de l’idéologie dans le capitalisme ou dans le capitalisme financier.
C'est-à-dire que les actions ainsi que le modèle des entreprises sont légitimées. Ces modèles pénètrent souvent dans les universités et déforment la légitimation à travers le mécanisme de défense ébauché par Ana Freud, celui de la rationalisation. Ils cherchent des raisons vraisemblables et non pas réelles en vue de légitimer une action et dans le but de calmer notre inconscient.

Prenant les concepts de Weber, théoricien justifiant le capitalisme et le système donné et l’action soumise aux moyens,  Ricœur en arrive à la conclusion suivante: Le travail de l’idéologie est celui de dépasser la tension existante entre l’aspiration à la légitimé (du coté de l’autorité)  et la croyance en la légitimité (du coté des citoyens). Cette tension existe car, l’aspiration et la croyance ne sont pas des équivalents mais divergent à partir d’une construction culturelle.







(2)Ricoeur , Paul, Ideologie et Utopie, Editions du Seuil, Paris, 1997, pag. 53
(3)Ricoeur , Paul, Ideologie et Utopie, Editions du Seuil, Paris, 1997, pag. 53



Concernant ces divergences entre « aspiration  et croyance » notre penseur réfléchit : si elles n’étaient pas la source réelle de la « plus-value » exprimée par Marx, il ne s’agirait donc pas d’une application exclusive pratiquée sur les systèmes de production, au moins dans le domaine des structures de pouvoir, là où elles persistent.
Ricœur découvre, à partir de l’analyse de la position de Weber concernant la notion de légitimité de l’autorité, un autre rôle médiateur de  l’idéologie: celui du chaînon permettant de connecter la notion marxiste de l’idéologie comme une déformation au concept intégrateur de Geertz.

Concernant l’utopie, elle n’apparaît que comme point de repère de l’idéologie vu par le marxisme orthodoxe et dans sa perspective d’une sociologie scientifique. Le marxisme soutient que vu que l’utopie n’est pas scientifique elle est donc idéologique et rappelle que le mot a été inventé par Thomas More et que «  utopie » signifie : « lieu qui n’existe pas », « aucun endroit », « nulle part» ; c'est-à-dire, clarifie Ricœur, un endroit qui n’existe nulle part dans la réalité, une utopie propre à un auteur.
C’est cette importance terminologique, celle du « nulle part » qui permet à Ricœur de proposer son hypothèse de recherche. Est-il donc possible de rencontrer une fonction de l’utopie comparable à celle de la fonction d’intégration de l’idéologie à partir d’un endroit vide nous permettant de nous regarder nous-mêmes ?
Vu que les sujets des utopies sont si variables, il s’agirait alors de chercher l’unité dans leur fonction pour arriver à leur propre structure fonctionnelle.
L’utopie montre, dans sa nature elle-même, des domaines extraterritoriaux et possibles, ces domaines sont, d’ailleurs, appropriés à la recherche de fonctions de l’imagination. Ricœur se demande si l’imagination a une fonction utopique qui peut être « constitutive » car elle nous aide à « repenser »  notre vie historique et sociale et par l’utopie nous pouvons imaginer une autre société possible.
Il propose donc, dans son chemin husserlien, d’aller des variations imaginatives concernant la société, le pouvoir, le gouvernement, la famille et la religion, vers la recherche de son essence et de considérer donc l’utopie comme une contrepartie de l’idéologie  dans sa formation  de l’action sociale ou symbolique.
Cette hypothèse de Ricœur peut être légitimée dans la dialectique de l’idéologie et de l’utopie; il s’agit, en fait, de l’autorité et de la crédibilité d’un pouvoir, ce dernier pris dans un concept de légitimité. L’idéologie tend à légitimer un système d’autorité et l’utopie essaye de répondre à l’utilisation de ce pouvoir. Or,  compte tenu de la brèche qui existe entre la crédibilité en la légitimité de ce pouvoir et la mise en place du pouvoir lui-même, cette brèche serait complétée par l’utopie.

Une autre hypothèse de Ricœur est celle d’interpréter les liens existants entre l’idéologie et l’utopie, à partir de leurs pathologies: l’idéologie vue comme une déformation ou une dissimulation et l’utopie vue comme une évasion. En ce dernier sens, la fonction excentrique de l’imagination utopique peut devenir, d’après Ricœur, une sorte de guérison de la pathologie de la pensée idéologique, cette dernière étant aveugle et restreinte en ce qui concerne le concept du « nulle part» étroitement lié au concept d’ « ici et maintenant ».
A partir des pages suivantes nous développerons le traitement donné par le philosophe Paul Ricœur concernant le sujet de la dialectique idéologie-utopie, constituant, tel que nous l’avons affirmé ci-dessus, une philosophie de l’imagination ou, en termes plus précis, constituant l’imaginaire social, et celui d’une formation sociale.

Nous essayerons de démontrer que, à partir de cette position, nous pouvons développer une philosophie n’ayant pas une position de subsomption, de colonisation ou de maitrise de l’Autre ; mais une position de récupération du soi-même et de l’autre moyennant une dialectique favorisant la rencontre avec l’autre, à la recherche d’un « nous » non excluant  dont l’axe sera la traduction de l‘expérience de l’autre, l’hégémonie et l’opacité

.



 C'est-à-dire que la traduction d’une expérience sera faite en fonction des catégories propres au traducteur (l’hégémonie) sans prendre en considération qu’il existe une certaine opacité, obscurité ou absence de représentation de l’expérience de l’autre.

C’est pourquoi le philosophe français Paul Ricœur cherche donc à dépasser les deux fonctions classiques de l’idéologie: l’idéologie comme conscience falsifiée selon Marx, et l’idéologie comme légitimation de la logique coût-bénéfice selon Weber, cherchant à ne pas subsumer, coloniser ou maitriser l’autre mais en réalisant une dialectique du soi-même prise comme ipséité avec l’altérité dans la recherche d’un imaginaire culturel et social commun.
































BIBLIOGRAPHIE

Ricœur Paul, Idéologie et utopie. Editions du Seuil, Paris 1997
Ricœur P, Le soi-même comme un autre. Editions du Seuil, 1990
Ricœur P. Parcours de la reconnaissance. Edition stock. Paris 2004.
Ricœur P. Le conflit des interprétations. Editions du Seuil, Paris 1969.
Ricœur P .La métaphore vive.  Editions du Seuil, Paris 1969.
Ricœur P. Temps et Récit. Editions du Seuil, Paris 1985.
Esprit. La pensée de Ricœur. Mars 2006
Lobosco , Marcelo Politique educatif en Philososophie, Editorial Biblos 2013
Laurent Assoun, Freud, la Philosophie et les Philosophes. Paidos, Buenos Aires, 1987





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